routes de nuit
Routes de nuit (Col de la Chavade)
C’était autrefois, ce récent moyen âge où l’on allait encore sans se soucier de rien. Des heures, des jours, des nuits passées dans ce vieil Henschel au tableau de bord en tôle. Un camion d’autrefois pour routes incertaines, mécanique Saxonne conçue pour le travail au flegme de bétail.
Souvent ma route c’était la Nationale 102 qui va du Puy à la vallée du Rhône par Aubenas. Une route dure et inquiétante l’hiver sur le plateau de Peyrbeille peuplé de rumeurs d’assassinats.
Au départ avant d’atteindre la Chavade une longue épreuve commence, partant de la haute Loire et courant vers le Sud. Une rampe continue sur son versant Atlantique, paysage d’altiplano constellé de tourbières, gravie péniblement parce que ses rampes sont traîtres à en disjoindre l’effort de la machine.
Le paysage est vite mélancolique, les rangées d’arbres qui bordent par moment le chemin attendent longtemps le printemps. Des villages linéaires muraillés de basalte aux fenêtres minimes, Costaros, Landos, panoramas furtifs roulants comme des congères.
Et puis le désert du plateau Ardéchois, plus rien avant Lanarce si ce n’est que l’auberge rouge rapetassée dans la Burle quand l’hiver le passage est impossible. L’ennui d’une toundra rallonge les minutes et l’asphalte résonne dans la cabine en fer. Le diesel alors, se met à ondoyer ronronnant sous le couple.
Le métal semble se remettre en ligne pour tout à l’heure, l’impitoyable descente de la Chavade qui portera au rouge le ventre des tambours qui geindront sous l’effort de freinages continus.
Avant le col, il y à Lanarce, le gardien de la pluie qui s’arrête sur ses pentes. Lanarce est un village d’où au-delà tout change, une sorte de lime saisissable entre deux mondes. Le vert, celui de l’atlantique où les rivières vont puissantes et chargées de limons. Le blanc, celui de la méditerranée aux sublimes vallées où parfois l’eau se perd.
C’est la nuit, les routes sont toujours longues et je n’ai que vingt ans, une colère d’inculte me taraude déjà. Mais parfois des fenêtres s’entrouvrent sous la lune…
Une lune ahurie qu’adoucit ma colère, roule sur les étoiles de journées endormies
L’asphalte resplendit en cette nuit déserte, escaladant les côtes de vallons raisonnables
Mon silence s’éblouit
Cadrans de la machine qui laisse par derrière
Un soupir qu’ensommeillent
Les ruisseaux désertés en d’étroites ravines
Je bascule doucement vers les Sud grandioses
La chanson des tambours au royaume du frein
Une attente insoluble, prisonnier de la charge
Un destin solitaire
Au-delà des plateaux sur les routes nocturnes
La neige amoncelée en des congères sales enlumine le froid
Une torpeur glaçante, le temps comme arrêté
Et ces étranges songes qui hâtent nos réveils
Brisures d’une vie aux âpres pertinences
Qu’on voudrait fuir encor
Parce qu’ils nous offensent .